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En 2020, l’Europe rebat les chiffres
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Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors, nous livre les chiffres clés de l’année 2020.
Cette année, un nouveau chiffre aura su s’imposer en Europe : le zéro carbone. À l’exception de la Pologne, à ce stade, cet objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050 fait désormais consensus entre dirigeants européens.
En 2020, ils vont débattre de trois autres chiffres. Trois pourcentages ronds, d’une simplicité enfantine mais polémiques. D’abord, 1%. C’est le seuil du revenu national brut de l’Union européenne que des États fortement contributeurs refusent de voir dépasser pour cadrer les budgets européens des sept prochaines années. Le Parlement européen, dont l’approbation est incontournable, ambitionne d’engager ces crédits à 1,3% du RNB. Le départ du contributeur britannique n’arrange rien à cette âpre négociation, qui devra aboutir avant la fin 2020. L’Union est hélas rompue à ces batailles rangées autour d’un dérisoire 1%, dont le moindre écart à la hausse mesurera l’ambition.
Mais un autre front est ouvert, celui des 2%. Il s’agit ici du niveau d’inflation de la zone euro en-dessous mais proche duquel la Banque centrale européenne se détermine pour orienter ses taux d’intérêt. Alors que l’inflation est devenue durablement basse dans nos économies (attendue à 1,1% en 2020, au plus à 1,6% en 2022), la pertinence de cet objectif, inchangé depuis 2003 et devenu inatteignable, est sérieusement remise en cause. Christine Lagarde, la nouvelle présidente de la BCE, a annoncé une « révision stratégique » qui devrait mobiliser son institution l’an prochain. Avec, entre autres, l’idée de cibler une inflation proche mais plus nécessairement en-dessous de 2% afin de mieux lutter contre le risque de déflation. Plus qu’un changement sémantique, une révolution dogmatique.
Une autre révolution attend son heure. Ce sont les fameux 3% du produit intérieur brut sous lesquels un déficit budgétaire national doit être maintenu. Emmanuel Macron, dans The Economist, a qualifié ce critère maastrichtien de « débat d’un autre siècle ». Mais le sujet sera récurrent au fil de l’année 2020. Le président français considère que ces 3% brident les investissements publics, dont notre continent a tant besoin dans la compétition mondiale.
L’an prochain, l’Europe va donc compter jusqu’à trois. Faire éventuellement bouger ces lignes rouges dépendra en grande partie de l’Allemagne, dans les trois cas. Contributrice nette au budget européen, elle est de ceux attachés au 1%. Revoir l’objectif des 2%, autrement dit le cœur du mandat de la BCE, exigera aussi son aval. Et relativiser la règle des 3% est un autre moyen d’inciter Berlin à dégonfler ses excédents budgétaires pour tirer la croissance en Europe.
Mais lever le tabou sur ces chiffres totémiques ne sert pas seulement à pousser les Etats à dépenser plus. C’est aussi chercher à les calculer autrement. Le président du Parlement européen, David Sassoli, l’a exprimé clairement devant l’Institut Jacques Delors, à Paris, à propos du budget européen : « le Parlement ne demande pas qu’une augmentation des contributions des États. Nous voulons davantage de ressources propres » pour l’UE. De telles ressources, indépendantes des contributions des Etats, sont gages d’intégration européenne.
Pour l’inflation, c’est aussi la manière dont son niveau est calculé qui est visée. En particulier, afin que les prix de l’immobilier soient mieux pris en compte. Mais aussi le prix du carbone, appelé à grimper.
Enfin, s’agissant du critère des 3%, une idée qui émerge serait d’extraire du calcul du déficit budgétaire des investissements « verts », ceux consentis pour réduire l’empreinte carbone de nos économies. Mais, comme pour l’éducation ou la défense, circonscrire ces dépenses du reste n’est jamais évident.
Au-delà de ces inflexions, ce n’est pas moins que notre entier modèle de croissance qui est pointé du doigt. L’objectif retenu de zéro carbone va de pair avec, comme l’énonce le futur pacte vert européen, une « croissance économique dissociée de l’utilisation des ressources ». Ceci obligera à revoir le calcul du PIB, mère de tous les indices, pour y intégrer les externalités négatives de nos modes de production et des indicateurs de bien-être. Bâtir cette croissance durable et inclusive et se donner les moyens d’une autre quantification du progrès doivent devenir en 2020 et pour la prochaine décennie la priorité européenne, numéro une.